C’était une tradition : chaque matin, à l’entrée des studios Dubbing Brothers, à Saint-Denis, en banlieue parisienne, acteurs et actrices venaient se présenter aux directeurs artistiques chargés de recruter les voix françaises pour les films et séries. en train de faire du doublage, espérant repartir avec un boulot. Mais ça c’était avant. Avant le Covid-19, bien sûr, mais surtout avant que Netflix, Amazon, Disney+, Apple TV+ et autres plateformes de streaming n’imposent des conditions drastiques de confidentialité à leurs prestataires. Impossible, désormais, d’improviser et de laisser entrer dans les locaux des “sans-contrat” qui ne se seraient pas formellement engagés à ne faire fuiter aucune information.
L’art du doublage, long à deux vitesses (budgets serrés et qualité médiocre pour la TV, enveloppe plus confortable pour le cinéma), est entré dans une nouvelle ère : les plateformes et leurs millions de minutes ont brutalement transformé ce métier en une véritable industrie mondialisée, avec de plus en plus critères de qualité exigeants. En 1997, aux États-Unis, sont lancés Netflix, désormais disponible partout dans le monde (à l’exception de la Chine), et Prime Video, lancé par Amazon. En 2019, Apple et Disney ont emboîté le pas, avec leurs chaînes de vidéo à la demande (Apple TV+ et Disney+).
Plus de 83 300 heures de contenu doublé
L’avalanche de productions qui en résulte bouscule le petit monde du doublage : en 2021, Netflix comptait cinq millions de minutes de contenus doublés (soit plus de 83 300 heures), en trente-quatre langues. Leur prochain film d’animation, La bête de la mer (monstre marin, en ligne le 8 juillet), réalisé par Chris Williams, ancien employé de Disney, sera disponible en français, espagnol, allemand, turc, japonais ou italien, mais aussi en basque, galicien (une première), ainsi qu’en catalan.
Pour le territoire indien, les voix originales seront adaptées par des acteurs locaux en hindi, tamoul et télougou. Pour “faire voyager les histoires”, comme le dit poétiquement Catherine Retat, directrice des services internationaux de doublage et de création, la société américaine compte sur une offre pléthorique et de plus en plus raffinée. Chaque production française est ainsi diffusée dans le monde entier en huit à treize langues.
Pour mener à bien ces entreprises méticuleuses, Netflix fait appel à des prestataires spécialisés dans le monde entier pour traduire, adapter, enregistrer et mixer les voix locales. Un travail coordonné depuis Paris par Catherine Retat. Après vingt ans chez Warner et quelques années chez Disney, à Londres, cette blonde punchy respecte scrupuleusement le protocole de langage de bois de la plateforme : peu encline à parler chiffres (car, dit-elle, “maintenir la magie”), elle bénéficie d’un savoir-faire français mondialement reconnu en matière de doublage. « Nous avons le meilleur doublage technique et artistique au monde, elle explique. Et parce qu’en Europe, il y a beaucoup de langues, il est évident d’être basé ici. »
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