En avril, lors de l’annonce de ses résultats financiers du premier trimestre 2022, Netflix révélait avoir perdu 200 000 utilisateurs dans le monde sur la période alors que tout le monde s’attendait à une croissance de l’ordre de 2,7 millions d’abonnés. Pire encore : Netflix s’attend à perdre deux millions d’abonnés supplémentaires à la fin du deuxième trimestre 2022. Pas de quoi rassurer les investisseurs qui ont fortement sanctionné le titre. Après une chute de 25% le 19 avril, l’action Netflix fluctue entre 170 et 190 dollars, bien en deçà de ses performances passées. En janvier, c’était près de 600 dollars ! Et, récemment, le groupe a également admis que son retrait de Russie avait entraîné la perte sèche de 700 0000 abonnés.
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“Se réveiller, faire faillite”
Même grisaille au royaume de la souris en culotte rouge. Le service VOD de Mickey inquiettu, malgré des chiffres qui restent flatteurs. L’an dernier, le deuxième trimestre avait été marqué par une perte d’exploitation de plus de 600 millions de dollars et le troisième par un net ralentissement des abonnements, qui n’ont augmenté que de 1,8 %, contre 9,2 % au premier trimestre. Cette année, le bénéfice du deuxième trimestre est ressorti en baisse de 46 %. Et la directrice financière du groupe, Christine McCarthy, a déjà averti que la croissance des abonnés ne sera pas aussi élevée qu’espéré.
Ces résultats moroses apparaissent à un moment où les deux sociétés affirment plus que jamais un positionnement progressif dans leurs productions. Donnant ainsi un peu plus de poids à l’adage “se réveiller, faire faillite” (“Réveillez-vous et soyez fauché”). L’expression s’est répandue après la publication en ligne, en 2018, d’un article dans lequel le‘auteur de science-fiction John Ringo l‘utilise à propos des organisations qui cen’aiment pas la pression des militants progressistes actifs sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, cela fait principalement référence à l’augmentation du nombre d’organisations qui utilisent des actions politiquement correctes dans le cadre de leur stratégie, pour ensuite subir une perte massive de revenus parce qu’elles se sont délibérément coupées des consommateurs et des investisseurs. Bien qu’il soit impossible de déterminer s’il s’agit d’une simple coïncidence ou d’un théorème implacable, on observe que le phénomène se répète souvent, même si les effets diffèrent selon le contexte et le secteur.
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L’exemple Nike
Ainsi, en 2018, lorsque l’équipementier sportif Nike à proposé un spot publicitaire présentantefait le footballeur américain Colin Kaepernick, connu pour ses positions qui divisent l’opinion outre-Atlantique, le groupe a vu son cours de bourse chuter. Sans s’en soucier. Le résultat souhaité a été atteint. Le spot a remporté un Emmy, le premier depuis 2002 pour la marque, qui a renforcé sa présence dans les médias et sur les réseaux sociaux, lui donnant une nouvelle visibilité auprès d’un public plus jeune. Tout en détournant l’attention, un temps, des affaires internes et des conditions de travail sur ses sites basés en Chine.
Pour Netflix et Disney, l’impact est forcément différent et difficilement contrôlable. Leur engagement ne se contente pas de positionner leur marque le temps d’une campagne. Elle modifie profondément leurs nouvelles productions. La dénonciation permanente de l’oppression systématique des minorités crée des malentendus, y compris parmi les personnes issues de ces minoritéss.
Le risque de rejet
Une œuvre audiovisuelle n’est pas une paire de baskets ou un t-shirt, c’est un produit culturel qui nécessite l’implication du spectateur. Dans Le cinémamon ou l‘homme imaginaire, Edgar Morin, voit le cinéma comme une articulation entre un système socioculturel et l’imaginaire. De toute évidence, le contenu du film est tout autant le reflet du monde vécu que le produit de l’imaginaire du spectateur. En perturbant la relation que le spectateur établit avec le film, sa compréhension de la situation représentée, qui repose sur ses connaissances, ses suppositions et ses attentes, on crée nécessairement le risque de rejet.
Le succès cinématographique ne dépend donc pas de la tendance du moment mais de la maîtrise des mécanismes inconscients qui permettent au spectateur de se sentir totalement inclus dans le contenu, quel que soit le message véhiculé par l’œuvre. En résumé : quelle que soit la couleur de la maison, pourvu qu’elle soit bien construite et confortable pour que chacun puisse y trouver sa place.
Avatar, titanesque et Guerres des étoiles
Trois des cinq plus grands succèsec’est absolu‘histoire du cinéma (c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation), Avatar, titanesque et le Guerres des étoiles original de 1977 illustrent parfaitement cette idée. Ces films parlent de la lutte pour la sauvegarde de l’environnement, de la ségrégation de classe ou encore de l’ascension d’un jeune paysan dans la lutte contre un système totalitaire. Ces thèmes s’intègrent parfaitement dans l’histoire et sont portés par des notions universelles et positives telles que la liberté, l’amour, l’affirmation de soi ou la quête initiatique. Ironie du sort, ces trois chefs-d’œuvre appartiennent désormais au groupe Disney, qui semble incapable d’en comprendre la substance.
Un positionnement trop clivant ne semble pas être une stratégie pertinente alors que le marché du streaming est en pleine mutation. Netflix et Disney+ font face à une concurrence accrue. Avec Amazon Prime Vidéo, Paramount+ et HBO Max qui propose le catalogue Warner, le cumul des abonnements devient de plus en plus compliqué et les spectateurs vont faire des choix. Il y a fort à parier que peu le feront sur des critères politiques.
Par Noel Labelle, consultant, expert en information économique et ancien rédacteur en chef duMagazine Agefi